Les animaux
cavernicoles
|
1. Historique
2. Les espèces cavernicoles
2.1. Les
trogloxènes
2.2. Les
troglophiles
2.3. Les
troglobies
3. Les écosystèmes souterrains
3.1.Les
milieux terrestres
3.2 Les
milieux aquatiques
5. Conclusions
L'existence d'animaux cavernicoles avait été remarquée bien avant que les biologistes s'intéressent à ceux-ci. De nombreuses légendes étaient liées à la vie souterraine, dont l'existence de dragons !
On peut dater du XVIIème siècle la première découverte marquante de la biospéologie, lorsque Valvasor découvrit en 1689, dans une grotte de la Carniole (Yougoslavie), le premier vertébré cavernicole, le Proteus anguineus, batracien urodèle qui a été étudié systématiquement dès 1768. En 1842, J. E. De Kay décrivit l'Amblyopsis spelaea, poisson téléostéen cavernicole des grottes du Kentucky (USA).
L'exploration souterraine devint l'auxiliaire de la récolte scientifique à partir de 1888, date à laquelle le français E. A. Martel commence à visiter un nombre important de cavités, en France et dans une vingtaine d'autres pays. Son disciple A. Viré le suit dans cette voie à partir de 1895 et soutient en 1899 une thèse sur la faune aquatique hypogée.
Mais les véritables fondateurs de la biospéologie sont toutefois E. Racovitza et R. Jeannel.
Océanographe de formation, le Roumain Racovitza capture, en 1905, un insecte exceptionnel (Typhlocirolina moragues dans les grottes du Drach (île de Majorque)) et entrevoit à ce moment toute la signification que peut prendre la biologie de cavernicoles. Il publie, en 1907, son Essai sur les problèmes biospéologiques, premier ouvrage d'ensemble sur la question et authentique manifeste de la nouvelle science.
En 1920, Jeannel fonda avec Racovitza à Cluj (Roumanie), le premier institut de spéléologie, Racovitza en assumant la direction et Jeannel la sous-direction.
Outre ces deux fondateurs, il y a lieu de citer les chefs de file de la biospéologie C. Eigenmann (importante monographie sur le Vertébrés cavernicoles américains, 1909), A. Vandel (fondateur et directeur du laboratoire souterrain du C.N.R.S. à Moulis recherches essentielles sur le Protée (Proteus anguineus), premier traité d'ensemble sur la biospéologie, 1964; travaux d'ensemble sur l'évolution); P.A. Chappuis (directeur adjoint de l'institut de Cluj et sous-directeur en 1948 du laboratoire souterrain du C.N.R.S. : recherches sur les mécanisme du peuplement hypogé) ; L. Fage (travaux fondamentaux sur les Araignées cavernicoles) ; C. Kosswig (recherches sur la génétique des populations souterraines théories d'ensemble sur les phénomènes d'évolution régressive).
La nouvelle discipline fut appelée à l'origine " biospéléologie " par Viré. Racovitza proposa " biospéologie ", plus simple et plus euphonique. Depuis 1887, date à laquelle Viré fonda le "laboratoire des Catacombes ", sous le Jardin des Plantes à Paris, divers laboratoires souterrains sont apparus dans plusieurs pays (Hongrie, Yougoslavie, Belgique, etc.). De telles installations supposent l'existence d'une grotte laboratoire couplée à un laboratoire de surface. Une grotte laboratoire est indispensable, si l'on veut étudier les animaux cavernicoles dans leur milieu naturel, exigence capitale en raison de la fragilité des espèces et de l'impossibilité pratique d'acclimater les cavernicoles en milieu épigé. Quant au laboratoire de surface, il est nécessaire pour effectuer le travail biologique qui ne peut être mené sous terre (coupes histologiques mesures physiologiques, etc.).
Si l'on désire dresser un tableau cohérent des animaux cavernicoles, il y a lieu de le envisager sous l'angle de leur degré de pénétration dans les milieux souterrains. C'est en fonction de ce critère que l'examen des différents groupes zoologiques rencontrés dans ceux-ci prend toute sa signification écologique et évolutive. Avant la publication du mémoire de Racovitza (1907), plusieurs auteurs avaient tenté d'établir les catégories majeures de cavernicoles. La seule qui subsiste est celle de Schiner, modifiée plusieurs fois.
On distingue ainsi
2.1 Les trogloxènes
Considérés à l'origine et par Racovitza lui-même comme des animaux " égarés "dans le milieu souterrain, les trogloxènes ont fait l'objet d'études de plus en plus systématiques qui ont permis de définir avec précision leur situation écologique très particulière.
Dans la classification de Pavan (1950), les trogloxènes sont définis comme des formes qui peuplent par hasard le milieu souterrain et subissent passivement les conditions qui y règnent. Depuis lors, de nombreuses observations ont montré que les trogloxènes occupaient les grottes " de façon temporaire mais systématique ".
Des observations pratiquées sur l'espèce Triphosa dubitata montrent que ce papillon trogloxène recherche dans les grottes des conditions particulières d'humidité et d'éclairement. La découverte de ces optima est réglée par des comportements d'exploration orientée (taxies), dont le déclenchement est contrôlé par des biorythmes saisonniers (rythmes circannuels). Il apparaît ainsi que la pénétration systématique dans les cavernes des deux Lépidoptères trogloxènes les plus communs (Triphosa dubitata et Scoliopteryx libatrix) s'explique par une " recherche active ".
Ces papillons recherchent un signal optique particulier, constitué par un ensemble contrasté (zone noire sur fond clair). Dans la nature, une telle disposition indique presque toujours la présence d'une cavité souterraine (l'entrée dans la paroi calcaire), si bien qu'en recherchant systématiquement une telle image les Lépidoptères trogloxènes augmentent très fortement leurs chances de parvenir dans un milieu qui va convenir à leur hibernation.
Ce comportement a été étudié en détail en utilisant, notamment, la technique des leurres (R. Tercafs et G. Thinès, 1972).
D'autres animaux trogloxènes pénètrent dans les cavernes pour des motifs différents :
Motifs de la pénétration dans les cavernes |
Epoque |
Région géographique |
Exemples |
Hibernation | Hiver | Pays tempérés froids | Papillons Chauve-souris Mollusques |
Diapause estivale | Eté | Pays tempérés froids | Phryganes |
Estivation | Eté | Pays chauds | Batraciens Diptères |
Refuge | Toute l'année | Tous pays | Rongeurs |
Collecte de nourriture | Toute l'année | Pays chauds | Serpents |
Stade larvaire | Hiver | Pays tempérés froids | Coléoptères |
En résumé, les trogloxènes sont des animaux qui fréquentent temporairement les grottes en raison d'exigences physiologiques particulières liées aux variations saisonnières et caractérisées par un ralentissement prolongé de l'activité de l'organisme. Le milieu hypogé est particulièrement favorable à la survie de l'espèce au cours de ces périodes, mais il ne constitue nullement un gîte obligatoire, l'animal étant susceptible de trouver éventuellement des conditions semblables dans des niches épigées. Les trogloxènes ne pénétrant dans les grottes qu'aux périodes leur activité est réduite, ils ne s'y reproduisent pas. Ils ne différent en rien des formes épigées sous l'angle morphologique.
Les troglophiles peuvent être définis comme les hôtes "électifs" du milieu souterrain en ce sens que, sans présenter de modifications morphologiques typiques, ils se révèlent particulièrement aptes à vivre dans le milieu souterrain.
Les troglophiles fournissent les exemples les plus démonstratifs des phénomènes dits de préadaptation. L. Cuénot (1914) a introduit cette notion pour expliquer le peuplement des " places vides " par les espèces qui réussissent à s'y adapter immédiatement. Loin d'avoir la moindre résonance finaliste, le concept de préadaptation traduit simplement le fait qu'une espèce animale ne colonise un milieu particulier que si elle possède certains caractères qui en font un candidat électif pour celui-ci, les caractères en cause pouvant ne présenter aucune valeur déterminante de survie dans le milieu antérieurement occupé.
Les travaux de Tercafs (1961) sur les Gastéropodes troglophiles du genre Oxychilus mettent fort bien en évidence les caractéristiques essentielles des formes troglophiles : contrairement aux escargots épigés qui hibernent à partir du moment où la température et le degré hygrométrique atteignent une limite inférieure précise (5 °C), les Oxychilus cavernicoles manifestent une activité continue pendant toute l'année. L'étude des préférendums de l'espèce montre que celle-ci recherche des conditions critiques de température situées entre 5 et 12 °C et d'une humidité relative de l'ordre de 75 à 100 p. 100 ; en outre, les animaux recherchent l'obscurité et les endroits où les mouvements de l'air sont peu marqués ; à cet égard, formes hypogées et formes épigées manifestent des besoins analogues . En outre, la répartition circadienne de l'activité est très semblable chez les cavernicoles et chez les épigés, mais l'hibernation ne s'observe plus chez les formes cavernicoles.
Enfin, les escargots épigés sont détritivores, tandis que les cavernicoles sont carnivores. D'autres exemples des exigences préadaptatives définissant les troglophiles peuvent être trouvés dans d'autres groupes d'animaux.
En résumé, les troglophiles sont des formes qui peuplent les milieux souterrains, en raison de conditions écologiques régnant dans ceux-ci, mais dont l'existence n'est nullement exclue dans de nombreuses niches épigées. La coexistence de formes épigées et de formes cavernicoles au sein d'un même genre zoologique atteste que les troglophiles effectuent leur cycle vital entier dans les grottes, en raison d'une préadaptation qui est demeurée facultative pour des organismes identiques.
Les troglobies sont les occupants permanents et obligés du milieu souterrain et ne peuvent vivre que dans celui-ci. On les considère, pour cette raison, comme des " prisonniers " du milieu hypogé. Le processus d'inféodation définitive aux conditions de vie souterraine suppose au départ, comme dans le cas des troglophiles, l'action de la préadaptation. Néanmoins, à partir d'un stade de pénétration suffisamment poussé, l'adaptation devient irréversible en raison de modifications morphologiques, physiologiques et éthologiques.
Les individus régressés subissent passivement les conditions hypogées en vertu d'un déficit génétique des capacités de régulation. Les formées qui atteignent ce stade sont des cavernicoles vrais - ou troglobies (Vandel, 1964). Les troglobies comptent un nombre important de formes caractéristiques parmi les Invertébrés (Coléoptères, Crustacés). Les Vertébrés comprennent un nombre limité de troglobies véritables, parmi lesquels figurent principalement des Urodèles (Protée) et des Poissons.
Les régressions typiques des troglobies se manifestent par l'absence ou la réduction profonde des yeux et des pigments cutanés, par une diminution du métabolisme général et un ralentissement considérable de la croissance et du développement. Ajoutons que chez les Invertébrés cavernicoles le cycle vital diffère nettement de celui des formes épigées appartenant aux mêmes groupes zoologiques.
Ainsi, les Coléoptères troglobies (Speonomus, par exemple) manifestent une activité continue : elle n’est pas réglée par un système circadien. Elle est maximale autour de 5 °C. Au-delà de + 25 °C et en deçà de - 5°C, les Insectes sont incapables de survivre. Le taux hygrométrique optimal se situe à 95 %; une variation positive de 5 p. 100 étant la plupart du temps léthale.
Les recherches de S. Deleurance-Glaçon (1953-1961) sur les Coléoptères Bathyscinae ont en outre montré que le cycle vital de ces Insectes diffère profondément de celui des formes épigées. La ponte, saisonnière chez ces dernières, est continue chez les formes cavernicoles. Quant à la vie larvaire, elle ne comporte plus que deux stades au lieu de quatre. Dans le cas d'espèces à forte spécialisation (Leptodirus, par exemple), le stade adulte apparaît après un seul stade larvaire.
Les travaux de R. Ginet (1960) sur les Crustacés cavernicoles du genre Niphargus ont également mis en évidence d'importantes différences par rapport aux formes épigées du genre Gammarus : impossibilité de survivre à la lumière, résistance faible aux variations thermiques brusques, développement très lent.
En ce qui concerne les Vertébrés les recherches de Vandel et de J.-P. Durand (1972) sur le Batracien Urodèle Proteus anguineus, troglobie caractérisé (élevé systématiquement pour la première fois dans la grotte laboratoire de Moulis), ont dégagé nombre de faits essentiels concernant la biologie de cet animal remarquable . Aveugle et dépigmenté, il n'atteint sa maturité sexuelle qu'au bout de dix ans. Les Poissons cavernicoles recensés dans l'étude d'ensemble de Thinès (1969) présentent des caractéristiques comparables, mais le nombre d'espèces étudiées de façon approfondie est faible (Anoptichthys, Caecobarbus, Amblyopsis), le total des formes authentiquement cavernicoles atteignant à peine la trentaine. Chez ces animaux encore, l'oeil et les pigments sont régressés et l'étude de leur biologie générale et de leurs comportements met en évidence des déficits spécifiques très nets.
On appelle " écosystème " un milieu biologique limité par un certain nombre de barrières physiques et dans lequel vivent des communautés animales et végétales. Ces communautés ont des relations entre elles et avec le milieu environnant. Le but de l'écologie est de dégager ces rapports, de les quantifier et de proposer des théories générales qui expliquent ces peuplements.
Les milieux souterrains constituent un écosystème très favorable pour les études scientifiques, car ils sont bien délimités et ils contiennent peu d'êtres vivants. Il existe différents types de ces milieux , se différenciant par la nature des roches, les caractéristiques physico-chimiques des eaux, et les conditions climatiques.
On distingue ainsi:
3.1.1. Les grottes et cavernes karstiques
Les caractéristiques physiques principales
des cavernes en milieu karstique (calcaires) sont : l'absence de
lumière, une humidité élevée et relativement constante, une
température presque invariable (à partir d'une certaine
profondeur). L'obscurité absolue entraîne automatiquement
l'absence complète de végétaux verts capables de
photosynthèse. En conséquence, les consommateurs primaires
(herbivores stricts) sont absents, et presque toutes les sources
de nourriture doivent provenir du milieu épigé. Certains
micro-organismes (Bactéries) sont cependant capables d'effectuer
des synthèses organiques dans l'obscurité, mais leur
contribution à la balance énergétique de l'écosystème est
quantativement faible. Ils peuvent cependant intervenir dans
l'alimentation des formes cavernicoles jeunes (Niphargus,
par exemple), qui dévorent l'argile.
3.1.2. Les grottes glacières
Il s'agit de grottes karstiques d'altitude, possédant une géométrie qui permet l'accumulation d'air froid et de neige. La température est proche de 0°C toute l'année. Une faune très spécialisée s'y développe.
3.1.3. Les grottes du type Movile
Les grottes du type Movile n'ont été découverte qu'en 1986 lors d'un sondage pour la recherche de pétrole en Roumanie. Il y existe des communautés cavernicoles utilisant les sulfures comme sources d'énergie. L'origine géologique de ces grottes exceptionnelles est complexe: au sarmatian, à l'éocène et au crétacé, des roches calcaires forment des phénomènes karstiques entre 10 et 200 m. de profondeur. Au début du quaternaire, un important dépôt de loess se dépose, isolant les grottes de la surface (il y a 3 millions d'années).
En outre, aux environs, des sources sulfureuses chaudes se développent au bord de la mer (connues depuis le temps des Romains pour ses propriétés médicales). Elles proviennent d'un aquifère situé dans le crétacé et le jurassique. Les grottes de Movile se trouvent à la jonction et recoupent donc ces eaux thermo-minérales.
Ces grottes n'ont jamais été en contact avec l'extérieur. La flore (bactéries et champignons) permettent la présence d'espèces animales cavernicoles complètement isolées du monde extérieur.
3.1.4. Le MSS (milieu souterrain superficiel):
Ce milieu est constitué par les éboulis en terrain calcaire et non calcaire. Si l'on pratique un coupe schématique dans un sol, on recontre successivement :
Viient ensuite une structure compacte:
Il en existe 2 formes :
En dessous existe le MSP milieu souterrain profond correspond à l'ensemble des fissures de la roche-mère :
3.1.5. Les grottes de lave
Lorsqu'un volcan éruptif forme une coulée de lave, le refroidissement superficiel peut former des tubes s'étendant parfois sur plusieurs km.
Il en existe à Hawaï, au Japon, à Tenerife. Ancienneté: entre 10 et 30.000 ans parfois moins (1949).
3.2.1. Les eaux souterraines en milieu calcaire (ruisseaux, rivières, lacs)
L'écoulement très capricieux en
fonction des failles, des diaclases; des effondrement de la
voûte. Les eaux descendent jusqu'au niveau imperméable: la
formation d'un lac souterrain est possible. Les eaux ressortent
à l'extérieur en formant une résurgence.
3.2.2. Les nappes phréatiques
La pluie qui tombe sur la surface de la Terre subit un arrêt partiel par la végétation sous laquelle existe une zone de rétention : grains de roches, terre. L'eau se fixe par capillarité : elle est reprise par les racines et l'évaporation due au soleil.
En dessous existe une zone d'aération ou
de transition: si l'eau est en quantité suffisante, elle descend
par gravité et laisse des espaces libres, pouvant être comblés
par de l'eau de condensation. Plus bas, l'eau forme une nappe
phréatique ( nappe d'eau libre), limitée par le terrain
imperméable et toujours en mouvement vers son exutoire.
3.2.3. Le milieu interstitiel
Il s'agit de l'ensemble des eaux se
trouvant dans les sédiments alluvionnaires des cours d'eau.
3.2.4. Les grottes sous-marines (y compris les grottes de lave)
Les origines sont diverses:
La biomasse totale existant dans les milieux souterrains est généralement faible. Presque toute l'énergie disponible provient de deux sources extérieures. Un premier apport, très important, est constitué de détritus végétaux et d'organismes de petite taille entraînés par les eaux souterraines (eaux de percolation et eaux libres). Le second apport provient de l'entrée régulière d'organismes actifs (trogloxènes) " non consommateurs " qui viennent peupler l'écosystème. L'exemple le plus frappant est celui des chauves-souris qui vont se nourrir au-dehors, mais dont le guano libéré dans les grottes est le point de départ d'une faune inféodée considérable. D'autres animaux trogloxènes (Lépidoptères, Coléoptères, Trichoptères) sont également à la base de chaînes trophiques particulières où les consommateurs sont constitués par des animaux troglophiles et troglobies
Une étude systématique d'un milieu relativement simple comme l'écosystème souterrain permet de mettre en évidence les relations et les échanges qui existent au sein d'une communauté et surtout d'apprécier les mécanismes de régulation qui maintiennent le système en équilibre malgré les variations importantes des apports énergétiques. On peut ainsi supposer que les capacités de résistance au jeûne de diverses formes troglobies aquatiques (Poissons, Crustacés) constituent un élément important de stabilisation des populations. De même, les capacités très larges des troglophiles de s'adapter à des sources de nourriture diverses constituent aussi un facteur non négligeable de régulation.
Les écosystèmes souterrains apparaissent ainsi comme un champ d'observation et d'expériences unique pour les études d'écologie pouvant amener à des généralisations à d'autres milieux, notamment en utilisant des simulations sur ordinateur.
Ce sont les régressions caractéristiques des troglobies, en particulier celles qui apparaissent à l'examen superficiel comme l'anophtalmie et la dépigmentation, qui ont surtout retenu l'attention des biologistes lorsqu'ils ont commencé à s'intéresser aux cavernicoles. L'existence d'animaux aveugles et incolores dans le milieu souterrain perpétuellement obscur constituait, à première vue, un argument de poids pour la thèse lamarckienne qui attribue toutes les variations de l'organisme à l'usage et au non-usage. Il était en effet logique de supposer, dans cette perspective, que la disparition de l'oeil et des pigments cutanés résultait du non-usage de ces caractères dans l'obscurité. Cependant, outre que cette hypothèse a été abandonnée de longue date parce qu'elle s'appuie sur l'idée ancienne de l'hérédité de l'acquis, elle ne prend en considération que le cas des troglobies et néglige entièrement les troglophiles et les trogloxènes.
C'est la théorie de la sélection naturelle qui fournit le premier fondement théorique nécessaire à l'explication des phénomènes d'évolution régressive. Darwin lui-même aborde du reste cette question de façon explicite. Sans discuter le problème de l'origine même des cavernicoles, il estime qu' un organe formé par l'action de la sélection naturelle peut dégénérer si celle-ci ne le contrôle plus. Cela signifie qu'un organe qui n'est plus essentiel pour la survie de l'animal, en raison d'une diminution de la compétition, peut varier et finalement tendre à disparaître. Darwin cite à l'appui de cette thèse le cas des rats cavernicoles du genre Neotoma et celui, plus caractéristique, du Poisson troglobie Amblyopsis spelaea. Il faut toutefois noter que Darwin estime que l'absence d'usage de l'oeil, au sens lamarckien, est à l'origine de la décroissance du contrôle sélectif.
Depuis l'Origine des espèces, diverses théories ont vu le jour. Elles ont toutes été partiellement inspirées par la théorie de la sélection naturelle et par le concept de préadaptation (Cuénot) tel qu'il a été défini plus haut à propos des troglophiles. C'est toutefois à partir des progrès réalisés dans l'étude de la génétique des populations que les mécanismes du peuplement souterrain et de l'inféodation irréversible des troglobies ont été clarifiés.
C. Hubbs (1938) et C. Kosswig (1963-1965), en particulier, ont contribué par leurs travaux à préciser les idées en ce domaine. Insistant sur les effets de la pléiotropie (action diversifiée d'un même groupe de gènes), Kosswig insiste sur l'importance de la compétition. Kosswig a également procédé à de nombreuses expériences d'hybridation entre individus cavernicoles et individus appartenant à la forme ancestrale épigée (les Poissons Anoptichthys et Astyanax, ce dernier étant l'ancêtre).
Il a pu mettre en évidence de cette manière l'extrême variabilité de l'oeil et des pigments traduisant, à son avis, une instabilité critique susceptible d'orienter les formes cavernicoles vers la troglobiose irréversible. L'accumulation de gènes mutés à valeur sélective neutre exercerait une action unilatérale dans cette direction en raison de la diminution de la sélection. Les cavernicoles tendraient de cette façon à produire des populations d'homozygotes dégénérés. Ces vues rejoignent particulièrement celles de Hoebus, permettent de définir les cavernicoles comme des formes résultant de l'action combinée d'une pression mutatoire (variable selon le genre et entrant en principe dans le cadre de la préadaptation) et de la pression sélective (faible ou -même nulle dans les milieux souterrains).
D'autres théories ont insisté sur l'importance de la diminution du taux métabolique observée chez de nombreux cavernicoles tant troglophiles que troglobies. L. Fage (1931) a pu montrer que les Araignées cavernicoles présentaient un abaissement caractéristique du taux métabolique. La formation des pigments, processus d'oxydation spécifique, sera donc atteinte au premier chef chez les organismes peuplant les milieux souterrains. Dans le cas particulier des Araignées, la diminution de la mélanine (pigment noir) oculaire pourrait, de cette façon, être considérée comme la cause la plus probable de la cécité constitutionnelle de ces animaux. Dans un même ordre d'idée, M. J. Heuts (1951) estime que la diminution des capacités de régulation constitue le trait essentiel des animaux cavernicoles.
Ceux-ci ont été regroupés sous le concept d'évolution régressive. Cette expression se justifie avant tout par le fait que les troglobies subissent des déficits organiques phylétiquement déterminés et permettant de les définir comme des formes autonomes par rapport à leurs ancêtres épigés. C'est la raison pour laquelle les systématiciens ont classiquement décrit les formes cavernicoles comme des espèces distinctes des formes ancestrales.
Il y a lieu de remarquer que ni les trogloxènes ni les troglophiles ne subissent de régressions au sens qui vient d'être indiqué. Le problème du passage graduel de l'état troglophile à l'état troglobie est loin d 'être tranché. Les études génétiques de Kosswig (1965), de même que la distinction capitale de Vandel (1964) entre cavernicoles anciens et cavernicoles récents fournissent toutefois une contribution importante à la solution de ce problème.
Les milieux souterrains et les êtres vivants qui les peuplent constituent un monde exceptionnel aussi différent des biotopes de montagnes, de forêts ou de des mers. La diversité des formes animales et végétales, contraintes de se développer dans l'obscurité totale rend compte de la puissance expansive de la Nature. La découverte récente des grottes de Movile où la source énergétique n'est pas le soleil mais des eaux sulfurées chaudes montrent qu'il existe encore bien des mystères dans les profondeurs de la Terre.
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Visitez le site de Pragma-Soft a.s.b.l. qui réalise vos projets de sites culturels, pédagogiques et humanitaires. Vos commentaires et suggestions sont les bienvenus ! |